Un curieux visage dans les nuages… ou un exemple classique de paréidolie.


Ces dernières années, on ne compte plus les téléréalités qui nous invitent à suivre des « chasseurs de fantômes » dans leurs investigations. Équipés d’une quincaillerie high-tech, ces ghostbusters se proposent de nous révéler l’invisible… Je me suis intéressé à ces chasseurs de fantômes et à leurs enquêtes.

Commençons par les chasseurs de fantômes. Qui sont-ils et quelle crédibilité doit-on leur accorder ?

L’équipement de base de tout bon Chasseur de fantômes digne de ce nom.

Il y a 20 ans, il n’y avait aucun groupe du genre au Québec. Quelques individus, comme le Pr Louis Bélanger — le « père de la parapsychologie » québécoise —, s’adonnaient à l’occasion à de telles enquêtes. Il y avait aussi la Société Québécois de Psilogie, une association qui s’intéressait aux phénomènes étranges, mais qui n’enquêtait que rarement sur le terrain. Depuis l’avènement d’émissions comme les Chasseurs de fantômes (Ghost Hunters), ces groupes ont poussé comme des champignons. On en compte aujourd’hui près de 200 au Québec. Ces associations sont composées d’amateurs qui ont rarement une formation académique et ignorent tout des méthodes d’investigations éprouvées. Ils partent de l’illusion que leurs lacunes seront comblées par l’utilisation de gadgets électroniques, comme s’il suffisait de confier une calculatrice à un chimpanzé pour en faire un mathématicien. Ils se donnent souvent des noms associatifs pompeux, alors qu’il s’agit la plupart du temps de trois ou quatre quidams qui se réunissent dans un sous-sol de Coaticook.

Il y a quelques mois, une collègue journaliste m’a demandé de commenter des images tournées par l’équipe du magazine J.E. (TVA), images tournées en compagnie de Hantise Québec, un groupe de chasseurs de fantômes de la Mauricie. J’ai été estomaqué par leur absence de sens critique et leur méconnaissance des spectres techniques de leur propre équipement. L’un d’eux a même qualifié de « détecteur d’entités » une vulgaire jauge à champ magnétique (qu’ils ont rebaptisé du nom exotique de K2).  Puis, lorsque ladite jauge s’est mise à clignoter, le même expert s’est exclamé : « Il y a une entité ici »… Ce joyeux drille ne s’est pas demandé si l’énorme batterie de la caméra ou le téléphone portable de la journaliste pouvaient y être pour quelque chose. Non… À l’évidence, il ne pouvait s’agir que d’une manifestation de l’au-delà.

Techniquement parlant, les équipements qu’utilisent les chasseurs de fantômes sont aussi utiles dans une traque aux entités qu’un stéthoscope pour soigner une sinusite. Ces appareils ont été conçus pour fournir des informations sur notre monde physique… pas sur l’au-delà. Un détecteur de champs magnétiques ne sert qu’à détecter les champs magnétiques, pas des revenants. Si les chasseurs de fantômes croient que les esprits excitent les champs magnétiques, il serait temps qu’ils le démontrent par des études sérieuses et non par des phrases toutes faites du genre : « On sait que… », « On croit que… » ou « Les experts savent que… ». Qui sont ces « on » ou ces « experts » ? Ont-ils des noms ? Quelque part, le père Noël et les Schtroumpfs sont aussi des experts. En science — et c’est ce que prétendent faire ces chasseurs de fantômes avec leur quincaillerie — si un appareil ne fournit aucune information qualitative sur le sujet d’étude, il doit être écarté. Un détecteur de champs magnétiques qui s’affole dans une pièce indique seulement qu’il y a un rayonnement magnétique, rien de plus. Il ne fournit aucune information sur la présence ou la nature des fantômes.

L’auteur devant la prétendue maison hantée de l’infâme Madame Lalaurie, à La Nouvelle-Orléans. Devant lui, un « orb » mystérieux.

Dans leur boîte à outils, les chasseurs traînent aussi des caméras capables de filmer dans l’infrarouge ou en vision thermale. Avec leurs caméras, ils captent à l’occasion des orbs, des sphères lumineuses qu’ils interprètent comme des âmes désincarnées. Le problème est que ces orbs ne sont que des artefacts qui apparaissent sur l’imagerie numérique dus à des particules de poussière ou des insectes devant la caméra.

Un curieux visage dans les nuages… ou un exemple classique de paréidolie.

Puis il y a les PVEs (acronyme pour Phénomène des Voix Électroniques). Cette technique, née dans les années 1950, connaît plusieurs variantes. La plus populaire consiste à placer dans un lieu soi-disant hanté un système d’enregistrement et à poser, à voix haute, des questions destinées aux revenants. À l’écoute, on entend parfois des chuchotements plus ou moins audibles que les chasseurs de fantômes interprètent comme des manifestations de l’au-delà. Ces enregistrements prêtent le flanc à la critique. Primo, les conditions d’enregistrement sont rarement bien documentées (où se trouvaient, par exemple, les autres membres du groupe au moment précis de ces enregistrements et que faisaient-ils ?). Secundo, ces enregistrements sont toujours faits en espace libre, et non dans une cage de Faraday comme l’exigerait la démarche scientifique. Si ces appareils ne sont pas imperméables à l’environnement (ce que ferait la cage de Faraday),  comment s’assurer que ces « voix » viennent bien de l’au-delà et ne sont pas de simples transmissions parasitaires (radio, télévision, téléphone cellulaire, etc.). Tertio, leur  valeur ne repose que sur l’interprétation des chasseurs de fantômes. Au retour de leurs « enquêtes », ils écoutent leurs enregistrements et en tirent des interprétations qu’ils publient aussitôt sur internet. Cela manque de rigueur. Pour valider leurs interprétations, ils devraient remettre leurs enregistrements à une vingtaine de personnes en leur demandant de les écouter, sans ajouter quoi que ce soit. Si ces testeurs rapportent majoritairement les mêmes mots et les mêmes phrases, cela confirmerait qu’il ne s’agit pas d’hallucinations auditives (sans pour autant prouver qu’il s’agit de voix de l’au-delà). Il faut se rappeler que notre cerveau n’aime pas l’abstrait et c’est pourquoi nous voyons vite des formes familières en fixant les nuages. Évidemment, ces formes n’existent pas « réellement », c’est notre cerveau qui les crée. Ce phénomène s’appelle la paréidolie. Il en va de même avec les sons. Si nous écoutons un enregistrement abstrait, comme un bruit de fond (white noise), notre cerveau y trouvera forcément des mots et des phrases. Nous ne pouvons pas y échapper, c’est un mécanisme naturel et involontaire. Dans le cas des PVE, non seulement les chasseurs de fantômes ne font aucune vérification par des tiers observateurs, mais ils publient leurs enregistrements en nous disant de facto ce que nous devons y entendre. Ce faisant, ils nous conditionnent à entendre la même chose qu’eux.

Je n’ai rien contre les chasseurs de fantômes, mais je m’inscris en faux contre leur discours savant. Ces paranormaleux n’ont aucune idée des protocoles scientifiques et leur quincaillerie — qu’elle valle 10$ ou 50,000$ — ne fera pas d’eux des scientifiques. Au mieux, elle renforcera leur irresponsabilité dans l’art de tromper les gens… parce que, hélas, c’est exactement de quoi il s’agit. Leurs techniques sont à la science ce que McDonald est à la gastronomie. Quant à leurs soi-disant preuves de l’au-delà, elles ne tiendraient pas 10 secondes devant un panel scientifique. Si certains chasseurs de fantômes se livrent sciemment à la tromperie, d’autres croient honnêtement au bien fondé de leurs convictions et c’est en toute bonne foi qu’ils ignorent les faits et les arguments qui s’y opposent. Malheureusement, au final, quelles que soient leurs convictions, une imposture reste une imposture.

Je ne dis pas que l’au-delà n’existe pas ou que les histoires de fantômes sont des fables. Loin de là, mais je pense que de s’en remettre à l’expertise des chasseurs de fantômes pour démystifier ces phénomènes équivaut à s’en remettre aux astrologues pour comprendre le cosmos.

Le scientifique Vic Tandy.

Ces dernières années des percées en neuroscience ont jeté un éclairage nouveau sur certains phénomènes associés à l’au-delà. Vic Tandy, un chercheur de l’Université Coventry (Angleterre), a découvert que la présence d’infrasons — inaudibles à l’oreille humaine — pouvait altérer nos perceptions, allant jusqu’à l’hallucination. Le Dr Michael Persinger, un neuroscientifique canadien, a prouvé que de légères variations dans les champs électromagnétiques pouvaient aussi nous amener à voir et à entendre des choses inexistantes. Puis, il y a deux ans, le Dr Olaf Blanke, du Laboratoire des sciences cognitives de l’école polytechnique fédérale de Lausanne (Suisse), a démontré qu’en état de fatigue et en période de stress notre cerveau pouvait engendrer de fausses perceptions spectaculaires, souvent associées à des histoires de fantôme. Toutes ces recherches ont fait l’objet de publications dans des périodiques scientifiques. Malheureusement, et il est là le problème… les chasseurs de fantômes ne lisent jamais les périodiques scientifiques. Ils préfèrent émettre des hypothèses délirantes sur la foi d’erreur d’interprétation et les valident en y adhérant. « J’y crois, donc c’est vrai ».

« À une vérité ténue et plate, je préfère un mensonge exaltant »
Alexandre Pouchkine